Relais international de généalogie arménienne
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HISTOIRE & CULTURE


Découvrez notre interview de Ian Manook

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Photo : Françoise Manoukian

En décembre 2021, nous avons pu mener cet entretien avec Ian Manook quelques mois après la parution de son roman biographique, L’oiseau bleu d'Erzeroum. 

Ian Manook a publié plusieurs romans depuis 2013, rangés dans la catégorie des thrillers. Voyageur écrivain ou écrivain voyageur, ses romans nous embarquent en Mongolie, au Brésil, en Islande, loin des clichés pour touristes. Nous découvrons de l’intérieur et avec profondeur, paysages, personnages, enjeux politiques, moraux, humains. Le talent littéraire de Ian Manook nous tient en haleine et nous donne à réfléchir. Son talent est reconnu par le succès de ses romans et de nombreux prix littéraires.

Avec L’oiseau bleu de Erzeroum, c’est à un tout autre voyage qu’il nous invite.  Le lieu est l’Arménie turque, pays de ses grands-parents paternels. 1915, nouvelle année noire pour les Arméniens : massacres, déportations, famines, spoliations, décrétées, planifiées et exécutées par le Comité Unité et Progrès (CUP), plus connu sous le nom Jeunes-Turcs. Dans son « carnet noir », le ministre de l’Intérieur, Talaat Pacha, a noté qu’il restait 370 000 Arméniens du nombre estimé en 1914, soit 1 617 200. Deux tiers de la population arménienne ont été décimés. On ne parle pas encore de génocide, le mot sera créé après le Seconde Guerre mondiale. Il s’agit bien d’un crime contre l’humanité.

Araxie et Haïgaz Manoukian ont survécu, ont pris un bateau, se sont exilés en France. Ian Manook leur rend hommage. Son roman est précieux pour saisir la réalité des faits. Il ramène à notre mémoire les horreurs endurées. Il est de notre devoir de bien lire cette première partie de ce voyage mémoriel.

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Nous remercions vivement Ian Manook pour cet échange.



Quels éléments de votre biographie pourriez-vous nous donner pour vous présenter ?
Je suis né dans la première partie du dernier siècle du millénaire précédent, c’est dire si j’ai vécu ! Famille arménienne par mon père, italo-belge par ma mère. Prolétaire et pauvre à l’origine : mon père a travaillé quarante ans chez Renault et j’ai vécu mes sept premières années à cinq dans la même pièce. Belles études de fils de prolétaire, premier de la classe entre Sorbonne et Panthéon : droit public, Sciences Po, droit des Communautés européennes et Institut français de presse. Puis un voyage de vingt-sept mois qui m’a changé et a décidé de tout…

Comment est né ce projet de biographie romancée consacrée à votre grand-mère paternelle ? Depuis combien de temps portez-vous ce projet ?
Je pense avoir toujours porté ce projet en moi. Au moins depuis que j’ai commencé à écrire, vers quinze ans. Différents éléments en ont cependant retardé ce projet. Des voyages, une vie professionnelle et familiale, d’autres romans, dont une douzaine de romans noirs. Mais à bien y réfléchir, je crois qu’inconsciemment, j’ai attendu que mes parents et mes grands-parents disparaissent. Pour plus de liberté d’écriture peut-être, mais en fait pour ne pas hypothéquer le reste de leur vie. Une sorte de pudeur, non pas pour moi, mais pour eux. La reconnaissance de leur droit à vivre leur vie et leur passé sans les voir réinterprétés par quelqu’un d’autre.

À partir de quels documents avez-vous travaillé ? Comment avez-vous complété le témoignage précieux de vos grands-parents ?
L’élément déclencheur est ce petit tatouage bleu sur la main de ma grand-mère, auquel nous donnions une forme d’oiseau, et qui marquait son appartenance d’esclave à un maître. Ensuite, il y a trente ans de confidences entre elle et moi. Pour les faits historiques et géographiques, je me suis documenté comme un journaliste, à partir de quelques livres « savants », mais surtout des livres de témoignage. Pour les chaînons manquants, j’ai travaillé comme un romancier en imaginant des événements plausibles en fonction des personnages et de l’époque.

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Photo : Françoise Manoukian

Comment s’inscrit ce roman dans l’ensemble de votre œuvre, composée de thrillers ? Quelles similitudes entre ces deux genres ? Entre votre travail d’auteur de thrillers et celui de ce récit familial et historique ?
À l’origine, ce roman devait être un de mes tout premiers. J’avais imaginé un énorme pavé commençant par la partie biographique de ma grand-mère, puis une ramification romancée sur trois continents et quatre générations, et, enfin et surtout, une fin sous forme de politique-fiction qui se déroulait en 2015 à l’occasion du centenaire du génocide des Arméniens par la Turquie. Il était donc impératif que le livre sorte en 2014 pour préserver cette volonté de politique-fiction. Mais à l’époque, je n’avais rien publié encore et l’éditeur à qui j’ai proposé le projet a préféré publier un roman policier que j’avais de prêt. Il s’agissait de Yeruldelgger, mon « polar mongol », dont le succès a entraîné la parution de cinq autres thrillers avant que je puisse réamorcer le projet de l’Oiseau bleu d’Erzeroum.
Par contre, je n’ai pas senti de différence fondamentale entre l’écriture de la biographie romancée et des thrillers. Dans les deux cas, j’écris sans aucun plan, avec le moins possible de compilation documentaire, et d’un seul jet, sans jamais revenir en arrière. Je laisse juste des mots en rouge dans le texte pour marquer les endroits où je pense devoir intervenir à la première relecture, soit améliorer le style, soit pour préciser ou vérifier un lieu, une date ou un nom.

Vous semblez partager cette inextinguible volonté de témoigner avec Zabel Essayan. Son récit témoignage, Dans les ruines d’Adana, qu’elle a écrit quasiment au moment des massacres, devait avertir, informer le monde. Quel message souhaitez-vous porter ?
Je pense que les communautés victimes d’un génocide ont des droits. Droit à la reconnaissance, droit à des réparations (surtout culturelles), droit à la parole, mais je pense aussi qu’elles ont le devoir absolu de témoigner pour éviter que ça ne recommence. La communauté juive, au lendemain de la Shoah, a tiré les leçons du génocide des Arméniens. Dans la punition des coupables, en s’inspirant de l’opération Nemesis des Arméniens, et surtout dans le fait de faire témoigner le plus tôt possible les survivants. Nous n’avons pas eu cette opportunité. Le confit dans cette région du monde se prolonge jusque dans la moitié des années vingt, et dix ans plus tard, c’est la Seconde Guerre mondiale. Nos survivants n’ont pas eu la chance de témoigner devant le monde entier. Je pense que Zabel Essayan, comme moi, nous participons de cette même volonté de faire témoigner des survivants à travers nos livres.

Écrire l’indicible, l’inimaginable, l’innommable, c’est prendre le risque de brusquer le lecteur… avec des mots. On oublie que les mots font ce qu’ils peuvent pour donner à voir une réalité qu’on ne peut inventer. On oublie que l’horreur réside dans la réalité des décisions prises contre un peuple. Comment comprenez-vous cette réticence à dire, à décrire, bien que les années passent ?
Je ne me suis pas posé cette question. Dès l’origine du projet j’ai prévenu mon éditeur que les soixante premières pages seraient dures parce que je ne voulais pas « survoler » le génocide par un résumé édulcoré. Ma grand-mère m’a raconté ses malheurs et il en ressortait que chaque jour, qui semblait pourtant avoir atteint le sommet de l’horreur, était suivi par un jour pire encore, et ce pendant deux mois. C’est ça un génocide, c’est long, cruel, planifié, sanglant, brutal. L’écrire autrement serait une trahison. Ça me rappelle une jeune femme qui m’interpelle à propos d’une scène de viol dans mon thriller Yeruldelgger, alors que je reçois le Prix Quai du Polar à Lyon. Elle me croit complaisant avec les violences sexuelles faites aux femmes, et je me défends en expliquant comment cette scène s’intègre dans la construction de l’intrigue et qu’il n’y a aucune complaisance de ma part. À bout d’arguments, elle s’indigne alors des mots crus et violents, « dégueulasses» dit-elle, que j’ai utilisés pour cette scène. Et je suis sidéré, parce que cela signifiait qu’avec des mots moins durs, moins violents, moins « dégueulasses » ce même viol lui serait apparu plus « acceptable ». C’est ça le risque du « littérairement correct », ça finit par édulcorer l’horreur et la rendre plus acceptable.

L’oiseau bleu de Erzeroum a paru le 24 avril 2021, date symbolique. En sera-t-il de même pour le tome 2 ?
La date du premier était voulue comme symbolique, bien entendu, mais la date du second volume sera plus soumise aux impératifs économiques et marketing de l’éditeur. Probablement avril pour la sortie en poche du premier tome, et octobre pour la sortie en broché du second.

Quels témoignages recevez-vous lors de vos rencontres avec les lecteurs ?
Bien sûr, un témoignage ému de la communauté, puisque les ancêtres de chaque famille ont vécu et raconté à peu près les mêmes choses. Mais le retour qui me marque le plus et qui est très fréquent, c’est celui de lecteurs qui me disent « j’avais bien entendu parler du génocide, mais je n’aurais jamais pensé que cela avait été aussi horrible ». Mais que croyaient-ils ? Qu’est-ce qu’un génocide ? Par définition, c’est l’organisation cruelle et barbare par une puissance étatique de l’extermination totale d’une population et de sa culture. Encore une raison de ne jamais tomber dans le littérairement correct. Même si, à la demande de l’éditeur, j’ai supprimé les deux scènes les plus horribles. Parce qu’après toutes les autres, elles n’ajoutaient rien à la démonstration.


Un grand merci à Françoise Manoukian pour nous avoir permis d'utiliser ses photos.


Interview réalisée par Solange Noyé






Article de novembre 2021

La grenade... symbole de l'Arménie : Un paradis dans un fruit

Dans le magasin de chaussures fréquenté régulièrement, j’ignorais que se cachait un concentré d’Arménie sur l’étagère derrière le comptoir. Au détour de la conversation, l’aimable propriétaire m’a montré un modeste fruit et sont alors apparues toutes les facettes de cette boule lisse et brillante…

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… Le fruit habitait l’étagère depuis le 6 janvier de cette année, rituel du Noël arménien. Nommé pomme grenade — grenade signifiant « abondant en graines », il contiendrait, disent certains, 365 grains à la pulpe rouge, un grain pour chaque jour, soit une promesse d’abondance pour l’année. Ainsi, il est tout aussi important de conserver une grenade chez soi que de la mêler aux mets des fêtes traditionnelles ou d’en lancer une contre un mur, les jours de mariage. (cf. exemples et recettes)

… Les grains ont-ils été vraiment comptés, les comptes vérifiés sur un échantillon probant ? Le jeu reste possible ! Pour y réussir, nous pouvons dévoiler avec assurance la meilleure façon d’ouvrir la grenade, éprouvée par l’expérience. (cf. descriptif)
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… Il vous reste alors à savourer crus ou cuits, salés ou sucrés, en jus, les arilles aux vertus précieuses. Consommée au naturel, la grenade nous fait don d’antioxydants, de vitamine B, de vitamine C. Elle renforce nos os et nos muscles, nous protège de la cataracte, des maladies cardiovasculaires et soutient les sportifs.

… La grenade, cultivée depuis trois millénaires, est toujours présente sur nos étals. Elle connaît même un regain d’intérêt pour les gens soucieux de leur bonne santé. Ses vertus organiques lui confèrent les symboles de fertilité, de prospérité, d’abondance. Ces symboles ont voyagé avec le grenadier : originaire du Caucase et de l’Asie centrale, il est cultivé dans le bassin méditerranéen. Les conquistadores l’ont implanté en Amérique. C’est pourquoi on les retrouve dans diverses religions ou chez les francs-maçons.

… En Arménie, depuis l’Antiquité, la grenade est prisée pour les ornements (bijoux, architecture, sculptures sur bois). Elle a été choisie pour le logo du XVIIe Sommet de la Francophonie d’Erevan en 2018, en plus d’être le symbole de paix et de prospérité pour la Francophonie.
… Carla Luciani l’a chantée pour évoquer la force féminine, grenade prête à exploser. N’oublions pas le courage des récolteurs qui doivent faire face aux ours, grands amateurs eux aussi du fruit au jus rubis ! Le rouge participe à la force symbolique contenue dans les arilles : couleur du sang, de la vie et de la mort.
… Avec son film, “La couleur de la grenade”, Sergueï Paradjanov propose une remarquable célébration de la poésie de Sayat-Nova, grand poète arménien du XVIIIe siècle. 

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Dès les premières images, nous sommes saisis : nous voyons d’abord 3 grenades posées sur une nappe blanche. Leur jus fuse sur la toile, dessinant une forme unique. Puis, un poignard qui saigne ou verse le sang… Difficile de ne pas voir dans ces images ou celles de la grappe de raisin écrasée par un pied nu sur une tombe, l’histoire de l’Arménie. Le symbole de la grenade prend tout son sens : une enveloppe un peu austère, des quartiers, des grains, représentant les Arméniens, unis, soudés par leur histoire, la portant ici et là où ils ont pu s’établir. 

… Tandis que Nrnadzor, la « vallée aux grenades », flamboie, le couple arménien s’apprête à prendre retraite. 42 ans de travail bien accompli. 42 grenades porte-bonheur. La dernière les suivra pour cette nouvelle étape de leur vie. D’autres fruits pleins de vitalité sont à venir.
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Maintenant, passons en cuisine ! 😋


La grenade se retrouve sur de nombreuses tables méditerranéennes. Végétariens ou pas, vous trouverez une recette à votre goût !

Pour commencer, méthode pour recueillir les arilles de la grenade sans dégâts :
  • ouvrir le fruit,

  • le décortiquer dans un grand bol ou un saladier rempli d’eau,

  • laisser les grains charnus tomber dans le fond les grains charnus (l’écorce blanchâtre flotte à la surface), 

  • vider l’eau et l’écorce, 

  • vos arilles sont prêtes pour toutes sortes de recettes !

Bonus : la peau de la grenade séchée peut être bue en infusion !

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Visuel réalisé par Diane Lagadec

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Visuel réalisé par Diane Lagadec


À propos du film de Sergueï Paradjanov : pour le voir en VO 
https://www.youtube.com/watch?v=KLZ4GSxP9eo

https://www.courrier.am/fr/arts-et-culture/la-couleur-de-la-grenade-de-serguei-paradjanov-le-royaume-des-livres-des-mots-de

Article rédigé par Solange Noyé






Article de septembre 2021

En cette rentrée, parlons mariage
😉 !


Le mariage arménien
Au fil des siècles, de nombreuses cultures ont influencé l’histoire de l’Arménie. Cette culture, qui s’exprime dans la religion, la vie familiale et les traditions, aide aujourd’hui les Arméniens du monde entier à conserver leur identité. L’une des principales valeurs nationales de l’Arménie est la famille, qui ne peut exister sans un acte considéré comme fondateur : le mariage. 
La cérémonie

Les fêtes de mariages commencent bien avant le jour de la cérémonie et les familles des mariés y jouent un rôle important. Un couple de parrain et marraine sert de témoins et de modèle. La cérémonie en elle-même se déroule en trois parties. Elle commence par l’engagement et l’union des mains. C’est le prêtre qui passe la bague à l’annulaire de la main gauche du fiancé. Il interroge ensuite les fiancés sur leur consentement, puis il ceint leurs têtes de deux bandelettes, les réunit en les approchant l'une vers l'autre, joint leurs mains droites, les dresse face à face et réitère son exhortation à la fidélité. Vient ensuite la bénédiction du mariage avant l’enlèvement des couronnes. Le prêtre réunit les mains et les têtes des mariés puis enlève les bandeaux et les mariés se retournent vers le saint autel. Ensuite, le prêtre prend dans sa main une coupe de vin et l’offre aux mariés et au parrain.

Les rituels et symboles qui rythment le mariage

Le jour J du mariage commence avec des sons de zurna (instrument à vent en bois) et de kopal (grand tambour à deux têtes) qui invitent l’assemblée à se réunir. On retrouve dans les mariages arméniens plusieurs étapes traditionnelles importantes qui perdurent encore aujourd’hui.


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Illustration Lucie de Maximy


  • Lavash (pain plat) : La belle-mère place le lavash sur les épaules des mariés en signe de prospérité et d’abondance.

  • Pomme fleurie : Le garçon d'honneur (Azab) tient un couteau spécial nommé tzaghkatz khndzor pendant toute la journée. Le couteau est décoré d'une pomme en haut, d'un champ de dix sous et de pièces de monnaie - qui étaient traditionnellement de véritables pièces d'or et d'argent - et des bonbons qui signifient le début d'une douce vie pour le nouveau couple.

  • Master des toasts : De nombreux toasts sont portés pendant que le parrain et la belle-mère expriment de belles paroles d’appréciation pour les futurs mariés, suivies de poésies et de chansons.

  • La dot de la mariée : La famille de la mariée présente divers articles à la famille du marié, notamment une couverture pour le lit, une nappe, une couverture pour le bébé et un tapis de soie (considéré comme le chef-d’œuvre de la dot !). Toutes ces pièces, faites à la main par la mariée, sont des symboles de sa patience. 

  • Les danses : Elles rythment les moments forts de la réception. Parmi elles, Il y a Yarkhushta, durant laquelle les hommes se font face par paires et s'approchent rapidement les uns des autres, produisant une irrésistible poussée d'adrénaline pour les danseurs et les spectateurs. On peut également citer Sasnapar et Shurjpar.


La cérémonie de mariage arménien est probablement la plus symbolique du monde. Elle exprime à elle seule la culture, l’histoire et les traditions de ce pays.

Article rédigé par Élisabeth Perdrix





Article de juin : Deux femmes, deux témoins de leur temps : 

Zabel Essayan et Mélinée Manouchian



Zabel Hovhannessian, née en 1878 à Scutari (quartier de Constantinople), écrivaine arménienne reconnue, formée à Paris, est une femme libre, engagée dans l’acte d’écrire en son nom et au nom de son peuple. 

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Mélinée Sukumian, née en 1913, orpheline à 2 ans, réfugiée, apatride, exilée en France, est entrée très tôt en résistance avec d’autres combattants venus d’ailleurs. Naturalisée française en 1946, elle ira en Arménie soviétique, y enseignera le français. Désabusée, malade, elle sera rapatriée au début des années 1960. Elle meurt en 1989, quelques semaines après la chute du Mur de Berlin. 

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Dans ce portrait croisé, nous allons tenter de montrer comment ces deux femmes ont, à l’échelle individuelle, chacune à sa mesure, à la place qu’elles ont prise dans un monde agité, contribué à construire du commun. Chacune a refusé de se soumettre, quitte à se tromper. Chacune a porté ses blessures intimes, les blessures d’un peuple. Chacune y a puisé la force de combattre, de témoigner. Chacune à sa manière a pris la parole. Aucune n’a renoncé. 


Voici deux femmes d’Arménie entrées dans l’histoire sous leur nom de mariage. Zabel Essayan a connu son époux, le peintre Tigrane (ou Dikran) Essayan, à Paris. Quand lui y reste, elle, elle part, pour Constantinople ou ailleurs, voir et témoigner en faveur de son peuple. Mélinée Manouchian est restée d’une fidélité indestructible à l’homme qui lui aura donné son troisième nom, Missak Manouchian. Le premier aura été le mari de la femme écrivaine de talent et porte-parole inlassable du peuple arménien. Le second, fusillé avec ses compagnons de combat, en 1944, au Mont-Valérien, aura laissé à son épouse une marque indélébile, son nom identificatoire, sans lequel on aurait pu ne pas savoir ce qu’elle avait accompli avec les camarades de la MOI ou les Aznavourian, qui la cacheront lorsqu’elle sera condamnée à mort. Elle serait restée, avec tant d’autres, dans les oubliettes de l’histoire.  


Car l’histoire, c’est bien connu, habitée par des hommes, laisse peu de place aux femmes et n’est pas équitable avec tous. Après chaque période de guerre, on compte ses héros, ses martyrs. On veut voir revenir le temps d’avant. On refoule les douleurs, les hontes. On craint d’exprimer la vérité : serions-nous entendus ? On ose mentir : le présent effacerait les exactions, les trahisons, les dénonciations. On veut rassembler. On devient amnésique. On tait les dissensions, les antagonismes idéologiques. On mythifie quelques actes de bravoure. On redore des blasons, pas toujours glorieux.  


Après les épisodes d’extermination, on cache, on se cache. On fuit, on est fui, poussé à un double exil. Le mot exil contient le bannissement, le malheur, le tourment, un sens figuré, « expulsé hors de sa patrie avec défense d’y rentrer ». Il est à la fois la cause du départ et le lieu. Il est interne et externe. Il est individuel et collectif. L’histoire des mots nous réserve des surprises, quand on cherche le mot juste : l’expression « faire extermination » signifiait s’exiler.  

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En avril 1909, alors que la révolution de 1908 semblait porter l’espoir d’une union nationale, la Cilicie a été la cible de massacres et de pillages, à Adana. Arrivée sur place, fin juin 1909, Zabel Essayan utilise le mot « aghed » ─ le mot de génocide n’existe pas encore. Ce terme concentre l’irréparable des actes commis, l’indicible horreur vécue, l’impossibilité de rendre compte. En 1911, elle publie Dans les ruines, Les massacres d’Adana, avril 1909, récit de son enquête menée, au cœur du chaos, durant les trois mois où elle a été chargée de porter secours et assistance aux rescapés et aux orphelins. Comment trouver les mots pour dire les ruines fumantes, les meurtrissures, physiques, psychologiques, matérielles ? Quels mots pour dire que tout est intact côté turc quand tout ce qui est arménien vient d’être saccagé ? Comment aider ? Des femmes refusent les beaux vêtements de couleur, elles ne souhaiteraient que de nouvelles loques, noires. Comment ne pas être en état de choc devant la folie, le sang, la misère, la famine ? Zabel Essayan voit, écrit. Tout ce qu’elle peut. Tout ce qu’elle ressent. Et tous ces orphelins, des espoirs à sauver ? Elle clôt ainsi son avant-propos : 
« Il faut, je le répète, que nous regardions courageusement notre pays couvert de sang. Ce que j’ai vu et entendu pourrait ébranler les fondements de tout État. Théoriquement, nul ne dit le contraire. C’est ce sentiment qui m’a poussée à écrire sans réserve aucune ─ en tant que citoyenne libre, que véritable enfant de mon pays, jouissant des mêmes droits et assumant les mêmes obligations que tous─ ces pages qu’il faut considérer non pas tant comme le fruit de la sensibilité d’une femme arménienne que comme les impressions spontanées et sincères d’un être humain comme les autres. » 

Les femmes sont juste des êtres humains comme les autres, à sortir de leur clandestinité, du foyer dans lequel elles sont recluses, sous la tyrannie d’une mère, d’un père, d’une société. Lisant la première partie du voyage rétrospectif que Zabel Essayan entreprend à 57 ans, nous comprenons.
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Publiés en 1935, à Erevan, en Arménie soviétique où elle vit désormais, Les Jardins de Silhdar évoquent le yékir, ce lieu entre le pays d’enfance et le pays rêvé. On comprend que « la bulle », ainsi nommée par son oncle, car très chétive, est une enfant, rebelle, précoce, très sensible. Elle observe, enregistre, discute ─ce qui ne se fait pas. Son père est son interlocuteur privilégié. Il favorise son épanouissement intellectuel et l’encourage. À 4 ans, elle pose son premier geste émancipateur : elle apprend à lire dans le journal paternel, assise sur ses genoux. 


« J’ai vu au cours de ma vie bien des pays et toutes sortes de merveilles, mais pour moi le souvenir des jardins de Silihdar est resté ineffaçable. Ces jardins, je les ai emportés partout avec moi et je m’y suis réfugiée chaque fois que des nuages noirs ont assombri mon horizon. »  


Pour Mélinée, il en va autrement. « Ceux-là étaient deux êtres dont le sort avait été le même dans la vie. Ayant bu jusqu’à la lie le sel et l’âpreté d’être orphelins et toutes les privations qui ont été les leurs », notera Missak à propos de leur enfance broyée. Leurs parents sont tués lors du pogrom de 1915. Mélinée et sa sœur connaîtront orphelinats, internats avant d’être envoyées en France, enregistrées par erreur sous le nom Assadourian, à Marseille puis au Raincy. Mélinée se montre rebelle. Quand une professeure lui lance : « Espèce de bolchévique ! », sa curiosité est piquée et la portera vers l’Arménie soviétique. C’est au Comité de Secours pour l’Arménie soviétique qu’elle rencontre Missak.  

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Mélinée, élève à l’école Tebrotzassere au Raincy, 1928/1929 (auteur inconnu, archives de l’école).

« Il m’aimait comme on aime l’instant à vivre dans son extrême richesse, comme une sculpture qu’on caresse, comme un poème qu’on lit à haute voix, il avait pour moi un amour à la limite de la déraison, total et entier. »  


« J’avais pour lui une admiration telle que jamais dans ma vie je n’en eus de semblable pour qui que ce fût. Je l’aimais comme on aime l’avenir dans lequel on se projette avec toute sa joie. Je l’aimais avec tout l’idéal qu’on porte en soi avec toute la ferveur de l’esprit. Il était comme le cristal, comme le diamant taillé. » 


Ni Zabel Essayan ni Mélinée Manouchian ne sont historiennes. Elles sont traversées par les évènements qui, quand elles les vivent, ne sont pas encore inscrits dans l’histoire. Elles sont traversées par des émotions, des colères. Elles s’engagent pour qu’advienne un monde meilleur.  


« Le hasard a voulu que, partout où je passais, le peuple arménien se trouvait au paroxysme de ses angoisses, de ses révoltes, de ses luttes… »  


Cette phrase de Zabel Essayan condense ce qu’aura été sa vie. Elle n’aura de cesse de recueillir les témoignages des survivants, de réunir les preuves et de faire entendre la vérité partout où elle le peut. Sa détermination, son courage, son habileté l’ont sauvée de la rafle des intellectuels arméniens de Constantinople. Seule femme de la liste, elle parviendra à Bakou en septembre 1915. L’écrivaine a jusqu’alors ciselé sa voix d’auteure, créé de la vie avec les mots. Confrontée aux maux, elle tangue entre écrire sur soi, depuis soi et écrire les autres, un « nous » bringuebalé sur les vagues de l’histoire et dispersé.  

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En 1922, quand elle publie Mon âme en exil (Hokis aksoryal), commence son compagnonnage communiste. Ou l’utopie d’une communauté nouvelle à créer. Zabel Essayan n’échappera pas aux purges staliniennes. Elle est arrêtée le 26 juin 1937, considérée comme « ennemie du peuple » et « espionne ». Elle meurt au goulag en 1943, année où elle est aussi recherchée dans le Paris de l’Occupation. Zabel Essayan sera réhabilitée en 1957. 


Mélinée Manouchian, profondément attachée à la culture française et à l’idéal qu’elle porte, s’engagera contre le nazisme, la Collaboration vichyste. Au sein de la MOI, elle sera secrétaire, portera des armes, prendra des risques. L’idée que la guerre est une affaire d’hommes prévaut. On ne peut reconnaître à la femme assez de pugnacité pour combattre. C’est ce qui rendra leur action plus efficace, à défaut d’être reconnue. Olga Bancic ne put être exécutée avec ses frères d’armes. Elle est envoyée à Stuttgart. Deuxième condamnation. Décapitation. 


« Missak et moi étions deux orphelins du génocide. Nous n’étions pas poursuivis par les nazis. Nous aurions pu rester cachés, mais nous ne pouvions pas rester insensibles à tous ces meurtres, à toutes ces déportations de juifs par les Allemands, car je voyais la main de ces mêmes Allemands qui avaient encadré l’armée turque lors du génocide des Arméniens . » 


Elle sera sa biographe. Elle sera la gardienne intranquille de cette mémoire des faits troubles, troublants, en cette période troublée. Elle témoignera dans le film de Mosco Boucault, Des terroristes à la retraite, dont le titre reprend à dessein le terme utilisé par la propagande nazie pour l’Affiche rouge. Son regard clair et perçant l’assure :  
« Il y a des jours où je ne peux pas m’empêcher de penser que, peut-être, si les nazis n’avaient pas fait cette affiche rouge, personne n’aurait parlé de Manouchian, de Bozcov, de Rayman, d’Alfonso et de tous les autres combattants. On les aurait enterrés et oubliés. Regardez les survivants, qu’est-ce qu’ils sont devenus ? » 


Regarder ce film en 2021, loin des polémiques encore actives en 1985, est une expérience bouleversante : nous découvrons des hommes qui ont tant perdu et tant donné sans reconnaissance en retour. Leur vie semble s’être figée à ces années de guerre. Le documentariste pose sur eux le regard qu’ils méritent, puissant et profondément humain. La mise à jour des vérités désagréables de tous bords a été lente.  

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Cimetière parisien d’Ivry-sur-Seine (94).

Au cœur de leur vie, pour l’une et pour l’autre : le yékir, l’engagement, la littérature, l’amour, les deuils impossibles, l’espoir d’un meilleur pour leur peuple. Leur vie au cœur de l’histoire : le génocide, l’exil, le fascisme, la Collaboration, les illusions politiques, les souffrances, les menaces, les exactions, la déportation. Ombre et lumière. Silence et prise de parole. Elles ont eu à cœur la transmission du souvenir du doux et de la mémoire du pire et l’espoir d’un meilleur à venir. Porte-voix d’une histoire, elles sont des passeuses de mémoire dans la fabrique de l’histoire. Il est bon de raviver leur souvenir : ce qu’elles nous appellent à ne pas oublier n’est pas encore reconnu comme mémoire collective, commune et partagée sans discussion.  


Le 24 avril 2021, le président américain, Joe Biden a déclaré : « Nous rendons hommage aux victimes de Meds Yeghern [“Le Grand Mal”] afin que les horreurs de ce qui s’est passé ne soient jamais perdues pour l’histoire. Et nous nous en souvenons pour rester toujours vigilants contre l’influence corrosive de la haine sous toutes ses formes. (…) », après avoir dit : « Chaque année, en ce jour, nous nous souvenons de tous ceux qui sont morts lors du génocide arménien (…) ». Il conviendrait mieux de dire « génocide des Arméniens », mais sachons apprécier ce pas effectué sur le chemin de la reconnaissance, 106 ans après les terribles évènements, 77 ans après la création en anglais de ce concept juridique élaboré par Lemkin, juriste polonais devenu américain, pour désigner ces crimes sans nom, les meurtres en masse visant l’extermination tous les membres d’une nation. Il fallait, en 1944, ajouter un mot à la liste des crimes possibles pour désigner la volonté d’exterminer, d’éradiquer un peuple au nom de la religion, de principes idéologiques, économiques, et les qualifier en crimes contre l’humanité. Ce mot a servi et sert encore.
Qu’en penseraient Zabel Essayan et Mélinée Manouchian ?

Article rédigé par Solange Noyé





Article de mai :
Jean Picard, mort pour l'Arménie



C’est une petite biographie d’un Breton ordinaire dont on retrace le parcours à travers les archives. Alors qu’il n’avait aucun rapport avec l'Arménie, il se retrouve à combattre pour la réinstallation des Arméniens en Cilicie entre 1918-1922.
Jean Picard naît le 19 novembre 1900 dans le hameau de Boutiry dans la commune du Saint [1] en plein Argoat breton [2]. Ses parents Pierre Picard et Marie-Louise Laîné se sont mariés en 1896 [3]. .Jean est le fils cadet du couple qui avait accueilli Louis Marie, l’aîné [4], un an avant Jean. Jean passe son enfance à la ferme où ses parents sont cultivateurs. On retrouve la famille dans le recensement de 1906. Ils vivent chez la mère de Marie-Louise, Hélène, en compagnie également du frère et de la sœur de Marie Louise, Jean et Louise [5]. À la maison, dans le village, la langue maternelle est le breton, dialecte de Cornouaille [6]. La famille s’agrandit avec l’arrivée de Maurice la même année [7]. puis de Marie en 1910 [8]. Deux mois après la naissance de Marie, un malheur frappe la famille, Maurice âgé de quatre ans décède [9]. La famille n’est pas riche, Pierre doit chercher du travail ailleurs. Il est engagé comme ouvrier agricole dans des fermes du Loir-et-Cher [10]. Jean apprend auprès de ses parents le métier de cultivateur [11].

Quand éclate la Grande-Guerre en 1914, Pierre est mobilisé et part sur le front [12]. Le frère aîné de Jean, Louis Marie, est mobilisé lui aussi en 1918 [13]. Jean trop jeune est lui soutien de famille et cultive les champs au Boutiry. A vingt ans, en mars 1920, il est appelé à son tour sous les drapeaux. Le jeune Breton est incorporé au 118ème régiment d’Infanterie où il ne doit pas être dépaysé, c’est le régiment des Bretons finistériens. Il y reste 9 mois. Mais en décembre 1920, il est affecté au 18ème Régiment de Tirailleurs Algériens [14]. Le régiment est en opération au Levant depuis un an.

Quels sont les faits historiques à l’origine de la présence de ce régiment en Cilicie ?
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Carte des accords Sykes-Picot. Royal Geographical Society 1910-1915, The National Archives, UK


L’accord de Sykes-Picot signé par les Alliés en 1916 prévoit le partage de l’Empire Ottoman. Ainsi la France, selon cet accord, administre directement la Syrie littorale, la Cilicie, le Liban et une partie du Kurdistan jusqu’au Tigre dite aussi la Zone bleue et une tutelle sur les États arabes dans les provinces de Damas, Alep, Mossoul-Kharpout.

Boghos Nubar, président de la Délégation nationale arménienne, en marge de cet accord, propose le recrutement de volontaires arméniens pour mettre en place un état autonome sous protectorat français en Cilicie. Ils ne devront affronter que l’ennemi Turc : La Légion d’Orient qu’on appellera plus tard la Légion arménienne est née. Elle participe aux prises décisives à Naplouse, Damas, Beyrouth à la fin de la Grande-Guerre.

Les Turcs sont défaits. Ils signent avec les Alliés l’Armistice de Moudros le 31 octobre 1918. A partir du 15 novembre 1918, les Français et la Légion arménienne débarquent à Alexandrette pour occuper la Cilicie. Mustafa Kemal, le 13 décembre, abandonne le commandement de la Cilicie et quitte la région. La légion arménienne occupe la Cilicie. Le rapatriement des 100 000 Arméniens présents en Syrie débute. Mais des heurts entre la légion arménienne et les Turcs qui admettent difficilement un autorité arménienne amènent des tensions. Des comités de défense Turcs s’organisent. Les Turcs de Deurtyol et Alexandrette se soulèvent en janvier 1919. Les français en sous-effectifs acceptent une intervention britannique. Les Britanniques occupent la Cilicie en février 1919. Ils restent jusqu’en octobre 1919 et les Français font venir des renforts de troupes pour les remplacer dont le 18e Régiment de Tirailleurs Algériens qui débarque le 1 novembre 1919.
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Adana, 1921 - Wikipedia
La situation se détériore rapidement. Bientôt Marache est reprise par les Turcs en février 1920, Ourfa est héroïquement défendu mais tombe aussi en avril ; suivie de Bozanti, en mai. Sur tout le territoire des soulèvements ont lieu, les villes sont assiégées. Les pertes françaises et arméniennes sont nombreuses. Les troupes françaises manquent de moyens. Elles ne disposent ni de véhicules blindés, ni de moyens de communication modernes (T.S.F.) Le Général Gouraud négocie une armistice avec Kemal en mai 1920, les Français évacuent Sis, Tell Abiad, Arab Puna, abandonnent les Arméniens d’Hadjin et se retirent au sud de la voie ferré de Mersine, Tarsous, Adana, Mouslimié. La trêve sera de courte durée, Tarsous, Mersine sont attaquées et défendues avec succès, Aintap résiste toujours. En Octobre 1920, les Arméniens d’Hadjin sont massacrés. Côté diplomatie, le traité de Sèvres en août 1920 et les accords de Londres en février 1921, non ratifiés, prévoient un retrait français de la Cilicie [15].
La situation du front est stabilisée quand notre jeune Breton arrive le 20 décembre 1920 en Cilicie, le retrait des Français semble inéluctable, mais sur place, ils résistent toujours. Le journal de son régiment nous renseigne sur les opérations auxquelles il a pu participer. Il n’y a plus d’opérations d’envergures, mais des escarmouches, fusillades, des marches de manœuvres, des embuscades tendues le long de la voie ferrée, des travaux de défense, des missions de protection de la voie ferrée. En mars 1921, un message du gouvernement Français ordonne de ne plus affronter l’ennemi [16].
En juin 1921, Jean tombe malade, il rentre à l’Hôpital d’Adana le 14 juin 1921 pour y être soigné d’une dysenterie. Son état empire. Notre jeune soldat meurt le 13 juillet 1921 [17] pendant que son régiment se prépare à la revue militaire pour la fête nationale du
lendemain. Certains soldats prendront part à la descente aux flambeaux cette nuit-là [18]. Il est ensuite enterré au cimetière d’Adana.

Le 20 octobre 1921, l’accord d’Angora entre la France et les Turcs est conclu. La France se retire de la Cilicie, les populations arméniennes sont évacuées au Liban et en Syrie. Le 4 janvier 1922 le retrait des forces militaires est terminé.

En ce qui concerne la tombe de notre jeune Breton, hélas, l’officier Vahan Portoukalian le 22 janvier 1922 explique dans ses correspondances qui sont conservées dans le Fond Andonian, que les tombes des chrétiens au cimetière d’Adana étaient vandalisées et qu’aucun musulman ne voulait entretenir de cimetière chrétien [19].

Il a été un soldat d’une campagne maintenant totalement oubliée des Français ; oubliée car perdue ; pourtant combien d’hommes Français, Algériens, Sénégalais, Indochinois, Soudanais, Arméniens ou Bretons y ont perdu la vie, tous réunis autour du même drapeau Français ? On peut regretter que ce projet n’ait pas abouti, car au-delà de la colonisation pour les ressources du pays, un des objectifs des Français était particulièrement noble : la réinstallation des Arméniens sur leur terre après avoir subi tant d’injustice.
[1] Acte de naissance de Jean Picard le 19/11/1900, Le Saint, NMD 1891-1906, AD du Morbihan
[2] l’Argoat en breton “le bois” désigne l’intérieur des terres de la Bretagne contrairement à l’Armor “la mer” qui désigne le bord
de mer.
[3] Acte de mariage de Pierre Picard x Marie Louise Laîné le , Le Saint, NMD 1891-1906 , AD du Morbihan
[4] Acte de naissance de Louis Marie Picard le 28/11/1899, Le Faouët, NMD 1899-1902, AD du Morbihan
[5] Recensement 1906, Le Saint, AD du Morbihan
[6] Le breton, langue celte voisine du gallois est divisé en quatre dialectes (Cornouaillais, Léonard, Vannetais, Trégorrois)
[7] Acte de naissance de Maurice Nicolas Picard le 31/07/1906, Le Saint, NMD 1902-1911, AD du Morbihan
[8] Acte de naissance de Marie Picard le 27/09/1910, Le Saint, NMD 1902-1911, AD du Morbihan
[9] Acte de décès de Maurice Nicolas Picard le 22/12/1910, Le Saint, NMD 1902-1911, AD du Morbihan
[10] Fiche Matricule de Pierre Picard, Matricule 2285, AD du Morbihan
[11] Fiche Matricule de Jean Picard, Matricule 3087, AD du Morbihan
[12] Fiche Matricule de Pierre Picard, Matricule 2285, AD du Morbihan
[13] Fiche Matricule de Louis Marie Picard, Matricule 2873, AD du Morbihan
[14] Fiche Matricule de Jean Picard, Matricule 3087, AD du Morbihan
[15] Du Véou Paul - La Passion de la Cilicie 1919-1922, Paris, 1954
[16] Journal de Marche - 18e Régiment de Tirailleurs - 1er Juillet 1919-7 Janvier 1923, Côte 26 N 853/4,Journaux des marches
et opérations des corps de troupe - Mémoire des hommes (defense.gouv.fr)
[17] Fiche Matricule de Jean Picard, Matricule 3087, AD du Morbihan
[18] Journal de Marche - 18e Régiment de Tirailleurs - 1er Juillet 1919-7 Janvier 1923, Côte 26 N 853/4,Journaux des marches
et opérations des corps de troupe - Mémoire des hommes (defense.gouv.fr)
[19] Lettre de Vahan Portoukalian à Kourken Tahmazian, 29/01/1922, Bibliothèque Nubar, Fonds Andonian, P.J.1/3, liasse 9,
Adana, ff. 50-58, L’évacuation française de la Cilicie en 1921 vue par l’officier Vahan Portoukalian (imprescriptible.fr)

Article rédigé par Laurent Le Guyader



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Article d'avril : "Haig Partamian, le parcours d'une famille arménienne"
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Une famille arménienne

Dans l'entre-deux guerres, de nombreux Arméniens, comme d'autres immigrés, ont voulu prendre la nationalité française. Il leur fallait pour cela constituer un dossier et fournir de nombreux justificatifs. Les politiques de naturalisation ont souvent varié. Dans les années 30 les demandeurs devaient avoir vécu un certain nombre d'années sur le sol français. Les engagés ou les militaires de carrière ayant au moins un petit grade étaient favorisés. Un statut social supérieur : enseignant, médecin, religieux, facilitait l'acquisition de la nationalité.

On peut consulter aux Archives Diplomatiques de Nantes les dossiers de demande de naturalisation d'Arméniens ayant transité par la Syrie et le Liban, protectorats français entre les deux guerres. Les renseignements contenus dans ces dossiers sont très inégaux. On n'y trouve parfois qu'un nom, une adresse. Il arrive, assez rarement, que le dossier soit conséquent, et encore plus rarement qu'il contienne des photographies du demandeur et de sa famille.

Le dossier de Haig Partamian fait partie de ceux-là. Il se trouve dans le carton 121 de la référence 92PO/B. C'est un des dossiers les
plus complets de ces archives. Les différents documents qui constituent le dossier ne sont pas classés et c'est au lecteur d'identifier les les informations et de les organiser afin de retracer l'histoire de la famille. Le demandeur, chef de famille, s'appelle Haig Partamian, fils de Ohannès Partamian et de Kadar Hadjian. Il est né à Marache (Turquie) en 1893. Une description précise qu'il mesure 1,60 m, qu'il a les cheveux noirs, les yeux marrons et le visage ovale. Ces renseignements figurent sur le Certificat d'identité établi par la Préfecture de l'Isère le 15 octobre 1930. La photographie sur le certificat le montre en costume de ville avec une cravate.
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Des certificats d'identité, indispensables pour travailler en France.

Le certificat d'identité est établi pour un an par la Préfecture de l'Isère et permet au bénéficiaire de séjourner et de travailler sur le sol français. Il est renouvelable. Le timbre en haut à gauche du document fait référence à la reconnaissance du statut de réfugiés octroyé aux russes et aux arméniens, résolution adoptée le 12 mai 1926 et enregistrée le 2 mai 1929 à Genève par le Haut Commissariat aux réfugiés. Les russes et les arméniens étaient considérés comme victimes de guerre. Plus tard, ce statut a été élargi à d'autres catégories de réfugiés. Haig est marié et sa femme Sophie est née à Arabkir en Turquie en 1900. Son nom de jeune fille est Varjabedian. D'après un autre document les deux époux se sont mariés le 20 mai 1919 à Hamas en Syrie. Le dossier contient deux certificats de nationalité de Sophie, le premier daté de 1925, le second de 1930. Sophie est mécanicienne en confections, c'est à dire ouvrière, Haig est menuisier. Leurs trois enfants sont mentionnés sur le certificat de leur mère. Feriat est né à Marache en 1921, Kévork à Alexandrette en 1923 et Josèphe en 1926 à Vienne (Isère).
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Deux photographies en très mauvais état sont présentes sur les deux certificats de Sophie. Elle est représentée avec ses enfants, Feriat et Kevork sur le document de 1925. Sur celui de 1930 on voit Feriat, Kevork et Josèphe. Installé à Vienne le couple francise les prénoms des deux aînés. Feriat devient Fernand et Kévork, Georges. Joseph perd le e à la fin de son prénom. Il faut remarquer que les orthographes des patronymes ne sont pas fixées. Sur les documents Partamian peut devenir Partanian. Fernand deviendra tourneur-mécanicien.
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Un long périple

Avant de s'installer en Isère et de demander la nationalité française, les Partamian ont effectué un long périple. Les documents des archives indiquent qu'ils ont habité à Adana en Turquie de 1919 à 1920, puis à Marache, ville de naissance de Haig et de leur premier enfant. Ils séjournent à Alexandrette de 1922 à 1925, puis à Beyrouth d'octobre 1929 à février 1931. Ils reviendront brièvement dans cette dernière ville avant de s'installer définitivement à Vienne en Isère. Les villes citées sont indiquées par une flèche.
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Carte extraite du manuel scolaire Géographie cours moyen, Mame, 1929 (coll. Marie Bertrand)

Demandes et tenacité

La première demande de la famille Partamian est ajournée le 21 novembre 1934 au motif que Haig et sa femme bénéficient de la nationalité libanaise et ne sont arrivés que récemment en France. En effet dans les années 30, cinq années de présence consécutive sur le sol français étaient exigées. Ce refus ne semble pas avoir entamé la détermination du couple. Un médecin certifie que la famille est en bonne santé. Haig envoie une lettre manuscrite à un ministre le 4 décembre 1937 témoignant de son désir de devenir français et de ses sentiments francophiles. Il fait établir par un greffier de Vienne un certificat de notoriété le 27 mars 1933.
Trois témoins sont mentionnés :
KALOUSTANT Gulbenk, 23 ans, mécanicien, 43 rue Maugiron, Vienne
TADJIAN Nicham, 22 ans, coiffeur, 21 rue Francisque Bonnier, Vienne
DUDUMIAN Ohannès, rue Peyssonneau, Vienne.
Ils déclarent bien connaître la famille.
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Une issue favorable
La ténacité de la famille Partamian porte ses fruits. Le 20 février 1940 le préfet de l'Isère appuie une nouvelle demande de nationalité. Il évoque la résidence de la famille sur le territoire national depuis 1934, la bonne moralité des deux époux et les diplômes scolaires des deux aînés. Vu leurs modiques revenus, il propose de ne leur faire payer qu'1/10ème des droits de sceau. Quelques rares dossiers contiennent le document de naturalisation ou une mention de ce document. Ce n'est pas le cas pour la famille Partamian. Mais leur combat a connu une issue heureuse.
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Lettre du préfet de l'Isère au Ministre de la Justice le 20 février 1940

Arbre généalogique de la famille Partamian

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Selon les documents la mère de Haig a deux patronymes différents. Les quatre grand-parents sont déclarés décédés en 1933 sans indication de date. Fernand est déclaré né en 1920 ou 1921.
Bibliographie :
Lotchak, Danièle, Qu'est-ce qu'un réfugié ? La construction politique d'une catégorie juridique, dans la revue Pouvoirs 2013/1 n°144
Kevonian, Dzovinar Réfugiés et diplomatie humanitaire. Les acteurs européens et la scène proche-orientale pendant l'entredeux guerres. Publications de la Sorbonne 2004.
Article rédigé par Marie Bertrand


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Article de mars : "Missak Manouchian : sa vie, ses combats".
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Missak Manouchian
Cet homme, qui nous adresse un regard droit et brillant, incarne pour beaucoup la figure du tigre. Lui-même a usé du mot dans ses poèmes :
Que les vents effrénés me flagellent !
Une colère de tigre enchaîné
Féconde mon âme par la force impétueuse
D’un gigantesque orage qui doit éclater.

« On les nommait des étrangers », Manouchian 15 mars 1933 Editeurs Français Réunis.
Car oui, l’homme a été poète, menuisier, tourneur, rédacteur en chef, militant antifasciste, résistant. Mais aussi modèle pour son ami peintre, orphelin et réfugié comme lui, Krikor Bédikian ou encore Jean Carzou (Karnik Zouloumian).

Plusieurs vies en trente-huit années d’existence tourneboulée par des événements devenus historiques. Des mots crus résonnent : génocide, guerre, combats, trahison, propagande, exécution…

Et aussi des mots forts : amitiés, amour, liberté, résistance…

Comment ce petit garçon, prénommé Missak, né Arménien dans l’empire Ottoman, doté d’un patronyme dérivé de manoug qui signifie « enfant », deviendra-t-il un symbole des résistants étrangers engagés pour la France, durant les heures sombres de la Seconde Guerre Mondiale ?

Cet homme, qui signera Michel, aura fait de cette phrase un credo : « La vie n’est pas dans le temps, mais dans l’usage. »


1906 - 1924 - De l’Empire ottoman au Liban, les épreuves du génocide
Un charmant petit enfant
A songé toute une nuit durant
Qu’il fera à l’aube pourpre et rose
Des bouquets de roses.

Traduction d’un de ses poèmes écrit à l’orphelinat de Jounieh.

Missak Manouchian est né le 1er septembre 1906 dans la ville ottomane de Adiyaman. Il est le quatrième et dernier enfant d’une famille de paysans arméniens catholiques.

Au printemps 1915, sont déclenchées les opérations qui mèneront au génocide des Arméniens. Kevork, le père deMissak, est tué, les armes à la main. Les gendarmes turcs et leurs auxiliaires de fortune répriment férocement les nombreuses milices d’autodéfense. Ces dernières tentent de protéger près de cinq mille Arméniens installés depuis plusieurs siècles dans cette province.

Les Arméniens de Adiyaman sont déportés à la mi-juillet 1915. Vardouhi, la mère de Missak, est malade et, affaiblie par la famine, elle meurt, quelque temps après son mari. Le jeune garçon et son frère, Garabed, sont sauvés et recueillis par une famille kurde.

À la fin de la guerre, les deux frères sont pris en charge par la communauté arménienne et transférés dans un orphelinat ouvert par un organisme humanitaire, fondé par l’ambassadeur Henry de Morgenthau. Missak et Garabed se retrouvent au sud de Jbeïl, dans la région de Jounieh, au Liban, qui est passé sous le contrôle français en 1918 et le restera en 1920, en vertu d’un mandat signé par la Société Des Nations.

Missak, témoin de massacres, est un enfant solitaire, introverti. Il est rebelle à la sévère discipline de l’établissement. Il est formé au métier de menuisier et aux rudiments de culture. Il commence à écrire des poèmes à l’âge de douze ans. Il rédige même des textes satiriques à propos d’un surveillant. Son goût pour l’écriture est né.
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1925 - 1934 - En France, se réfugier, survivre, écrire…
En 1925, Missak et son frère Garabed débarquent à Marseille, certainement aidés par un réseau d’immigration clandestin.
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Garabed et Missak, en 1925.

Missak exerce son métier de menuisier. Garabed tombe malade. Les deux frères, rêvant de meilleur et, comme beaucoup d’Arméniens avant eux, décident d’aller à Paris. Pour assurer leur survie, Missak apprend sur le tas le métier de tourneur aux usines Citroën. Garabed meurt en 1927. Missak se retrouve seul désormais, éprouvé une nouvelle fois par le chagrin et le deuil.
Comme un forçat supplicié, comme un esclave qu’on brime
J’ai grandi nu sous le fouet de la gêne et de l’insulte,
Me battant contre la mort, vivre étant le seul problème…
Quel guetteur têtu je fus des lueurs et des mirages !

Extrait du poème Le miroir et moi, traduit par G. Hékimian, publié dans une anthologie dirigée par R.Mélik.

En 1929, il est choisi pour son port athlétique comme modèle par son ami le peintre Krikor Bedikian. Il pose aussi pour Jean Carzou (Kamik Zouloumian). Introduit dans le milieu artistique, il s’intéresse à la littérature, aux arts. Il écrit des poèmes. Il rencontre Aram Andonian, qui dirige la librairie Nubar et rend compte du génocide en tant que journaliste.

Le début des années 1930 est marqué par la Grande Dépression. Missak perd son emploi. Quelques travaux irréguliers lui assurent sa subsistance. Il fréquente les universités ouvrières de la CGT et se rend chaque matin à la bibliothèque Sainte-Geneviève. Avec son ami Kégham Atmadjian (alias Séma ou Semma), ils s’inscrivent à la Sorbonne en auditeurs libres pour suivre des cours de littérature, de philosophie, d’économie politique et d’histoire.

Missak et Séma fondent deux revues littéraires Tchank (« L’effort ») et Machagouyt (« Culture »). Ils publient des articles sur la littérature française et la littérature arménienne ainsi que des traductions en arménien de Baudelaire, Verlaine et Rimbaud.


1935 - 1944 - Militer, s’engager, aimer…
Pour bien comprendre l’engagement d’hommes de courage comme Missak Manouchian, un point sur des événements qui vont marquer durablement la vie politique française :
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Cavaliers de la garde républicaine mobile contre émeutiers sur la place de la Concorde le 7 février 1934
Le 6 février 1934, une crise politique se produit après une manifestation antiparlementaire organisée par des nationalistes, en protestation contre le limogeage du préfet Jean Chiappe, suite à l’affaire Stavisky. La fusillade la plus sanglante de la Troisième République provoque, le 7 février, la chute du second gouvernement Daladier. Un gouvernement dit d’"union nationale" se constitue autour de Gaston Doumergue, ancien président (1924-1931) rappelé par Albert Lebrun, président de la République française (1932-1940). Sont nommés autour de lui, des représentants de la droite parlementaire, des radicaux et un novice, Philippe Pétain, qui obtiendra le vote des pleins pouvoirs constituants le 10 juillet 1940.

La gauche voit en ces événements du 6 février l’annonce d’un danger fasciste en France.

C’est dans ce contexte que Missak adhère au Parti Communiste et au HOC, section française du Comité de Secours pour l’Arménie. Le HOK (Haï Oknoutian Komité, forme abrégée de Hayastani Oknoutian Komité, Hayastani correspondant à "Arménie") est créé le 13 septembre 1921 par le gouvernement de l’Arménie soviétique.

Au moment du Front populaire, l’effectif de cette section est le plus élevé de la MOI (Main-d’Oeuvre Immigrée) avec environ 7000 personnes. Un conseil central dirige les comités locaux. On en compte un par ville, plus à Paris et à Marseille. Missak appartient au comité du Quartier latin. Il contribue au journal du HOC, dont le nom, Zangou, rappelle le fleuve de la région d’Erevan.
Missak correspond avec les poètes arméniens Avétik Issahakian et Archag Tchobanian, en tant que membre de l’Association des écrivains communistes. Il participe au mouvement Amsterdam-Pleyel, mouvement pacifiste de lutte contre la guerre et le fascisme, fondé en 1933, à l’initiative des deux écrivains français Henri Barbusse et Romain Rolland.

Ouvrier, Arménien, communiste, internationaliste, antifasciste, Missak écrit :

Que les flambeaux de la conscience éclairent nos esprits
Que le sommeil et la lassitude ne voilent point nos âmes !
À tout moment l’ennemi change de couleur et de forme
Et nous jette sans arrêt dans sa gueule inassouvie.

Dernière strophe d’un poème dédié aux ouvriers arméniens immigrés (1934)

En juillet 1935, Missak devient le deuxième secrétaire du HOC et membre du conseil central. Une déléguée du comité de Belleville, qu’il a rencontrée en 1934, est engagée comme secrétaire administrative. Elle s’appelle Mélinée Assadourian. Collaboration et amour vont fusionner.
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Missak et Mélinée ont beaucoup en commun. Apatrides, orphelins, ils sont profondément attachés à la France et à l’idéal qu’elle représente pour eux. Ils participent aux manifestations et aux grèves du Front populaire. Leur espoir de droits pour les travailleurs immigrés et les apatrides est vite déçu. Le 22 février 1936, ils se marient, ayant fourni le certificat de coutume en vue de mariage, exigé des apatrides.

Fin 1937, les purges staliniennes entraînent la dissolution des unités du HOK, à Erevan comme à Paris. Le couple fondent l’Union populaire franco-arménienne en orientant leur action vers l’international.
Missak se mobilise avec Mélinée pour la défense de la République espagnole et dans une collecte de fonds auprès d’associations arméniennes. Il est délégué au 9e congrès du PCF.

Fin août 1939 est signé le Pacte germano-soviétique. Le 2 septembre, Missak est incarcéré pour sympathie envers la nation soviétique, considérée comme ennemie. Le 26 septembre, le gouvernement Daladier interdit tout organisme affilié au PCF, dont l’UPFA. En octobre 1939, il contrevient aux directives du Parti et signe son acte d’engagement volontaire. Il est affecté à Colpo (Morbihan) où il entraîne les recrues.
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De son côté, Mélinée brûle les archives de l’UPFA. Un décret signé en 1938 permet d’arrêter tout "étranger indésirable" qui ne pourrait justifier de son statut de réfugié. Une loi de novembre de 1939 autorise l’incarcération des communistes français dans des camps d’internement. Commence alors la clandestinité.

Juin 1940 - 21 février 1944 – EXISTER ?

« Me battant contre la mort, vivre étant le seul problème… »
Michel Manouchian Le miroir et moi

De juin 1940 au 21 juin 1941, Missak Manouchian est sous le contrôle des autorités allemande. Le 22 juin 1941, la rupture du pacte germano-soviétique, après l’invasion allemande en URSS, amène Missak à rejoindre Mélinée à Paris.

Peu après, cette date, Missak est arrêté par le SD, service de renseignement et de maintien de l’ordre de la SS. Mélinée échappe à cette rafle de communistes, ennemi supplémentaire de l’occupant. Missak est dans les premiers des 7000 prisonniers du "Frontstalag 122"camp de transit nazi ouvert de juin 1941 à août 1944, à Compiègne.

Interné durant cinq mois et demi, Missak est libéré, faute de charges contre lui. Les opérations de déportation massives sont planifiées à cette époque, sous le nom de "Vent printanier". Il retrouve Mélinée à leur domicile, 11, rue de Plaisance – Paris 14e. Ce sera son dernier domicile, jusqu’à son arrestation le 16 novembre 1943.

RÉSISTER, c’est COMBATTRE

Missak Manouchian et ses compagnons étrangers sont aussi des exemples puissants de meneurs d’actions d’opposition au fascisme qui se propage, à la défense des droits de toutes et tous.

Sans que ses affiliés le sachent, la MOI relève du Komintern ou l’Internationale communiste qui regroupait les partis communistes partisans du régime soviétique. Staline la met au service de ses intérêts.

C’est dans une organisation au fonctionnement complexe et très hiérarchisée que Missak Manouchian et ses camarades s’engagent. Les groupes armés des FTP-MOI sont constitués en avril 1942 sous la direction de Boris Holban.

Dans le premier détachement où il est affecté, Missak retrouve des Arméniens, des juifs roumains et hongrois. Le 17 mars 1943, sa première action armée se déroule à Levallois-Perret. Connu pour sa répugnance à tuer, Missak Manouchian veut apporter la preuve qu’il a bien lancé une grenade en conservant sa goupille. Goupille pouvant devenir pièce à conviction s'il venait à être arrêté. Cette "preuve" lui vaut un blâme et une mise à l’écart pour ce qui est qualifié d’indiscipline.

En juillet 1943, Missak devient commissaire technique des FTP-MOI de Paris.
Le mois suivant, il est nommé commissaire militaire de la région parisienne à la place de Boris Holban, démis de ses fonctions par mesure disciplinaire après voir jugé suicidaire les missions telles qu’elles étaient prévues.
En mars 1943, 140 FTP-MOI ont été arrêtés par la Brigade spéciale n°2 des Renseignements généraux. Tous se savent désormais en sursis.

À partir de son deuxième coup de filet, en juillet 1943, la Brigade spéciale n°2 mène vaste filature qui aboutit, mi-novembre, au démantèlement complet des FTP-MOI parisiens.

COMBATTRE et MOURIR 
Le 16 novembre 1943, en gare d’Évry-Petit Bourg, Missak Manouchian et Joseph Epstein sont arrêtés alors qu’ils veulent discuter de l’opportunité de mettre à l’abri les membres du groupe au vu des suivis et des arrestations par la Brigade spéciale n°2 des Renseignements généraux. Missak était suivi depuis le départ de son domicile par un commissaire et quatre inspecteurs. Lui et Joseph Epstein tentent d’échapper à leurs poursuivants quand ils les remarquent. Missak décide de ne pas utiliser le pistolet qu’il a dissimulé dans une poche de son manteau.

La chute, ce même jour, de Marcel Rajman, d’Olga Bancic et de Joseph Syec clôt les 68 arrestations effectuées par cette brigade spéciale.

La veille, Mélinée a fui une rafle. Interpelée dans le métro, le sac rempli des armes remises par Olga Bancic à une table de café, elle répond au policier qu’elle transporte des pistolets. Sans vérifier, il lui rétorque de ne pas plaisanter avec ce genre de choses. Ce soir-là, elle supplie Missak de renoncer à son rendez-vous hebdomadaire prévu le lendemain. Comme il lui est impossible de prévenir les jeunes qu’il commande, leurs adresses lui étant cachées, il ne peut pas envisager les laisser affronter les dangers sans lui.

Le 16 novembre 1943, ne voyant pas son mari revenir, Mélinée abandonne leur appartement, comme ils en ont convenu. Knar Aznavourian, venue la prévenir que sa cache a été fouillée, la met à l’abri chez elle. Mélinée échappe ainsi à la rafle du 3 décembre. Le sort de Missak la mine. Elle se sait recherchée, son signalement est diffusé dans les commissariats. Elle sait aussi que, capturée, elle sera condamnée à mort.

Si Mélinée a pu éviter la police, Arménak Manoukian, second de Missak Manouchian, est arrêté. Missak avait intégré Arpen Tavitian, dont les faux papiers étaient au nom de Arménak Manoukian, dans le groupe arménien de la MOI puis dans le premier détachement des FTP-MOI. Trotskyste, anti-stalinien, Arménak Manoukian a connu les prisons staliniennes. Il a fui l’URSS.

Dans la lettre qu’il écrit le 21 février 1944 à sa belle-soeur Armène, Missak Manouchian écrit : « Il faut aussi penser à la mémoire de Manoukian qui meurt aussi avec moi. »

Avant ce 21 février, Missak et ses 23 camarades sont livrés aux Allemands de la Geheime Feldpolizei. Ils sont torturés. Juifs, étrangers, communistes, ils cumulent tout ce que le nazisme exècre, traque, massacre, déporte, avec l’aide des lois de Vichy. Les Allemands vont monter une affaire pour leur propagande. Le tribunal militaire allemand du Grand-Paris juge 24 des résistants arrêtés sur les 68.

Le 19 février 1944, à l’hôtel Continental, en présence de journalistes, se déroule une parodie de procès.

Missak Manouchian assène à ses accusateurs :

« Vous avez hérité la nationalité française, nous l’avons méritée. »

Le verdict annonce : 23 condamnations à mort. Sans appel possible, 22 d’entre eux sont fusillés sans délai.


➢ La seule femme, Olga Bancic, voit son exécution suspendue. La présence d’une femme aura posé problème : une femme ne peut être combattante ; on aura pu la torturer mais pas la fusiller car cela lui aurait conféré un statut de résistante ; elle ne peut devenir un exemple pour les femmes et il ne faut choquer l’opinion publique. Alors elle est conduite à Stuttgart où elle est de nouveau condamnée à mort et immédiatement décapitée, le 10 mai 1944, jour de ses 32 ans.


Les 22 hommes du groupe du groupe de Missak Manouchian sont fusillés le 21 février au fort du Mont-Valérien. Ils ont refusé d’avoir les yeux bandés. Ils s’appellent :

• Celestino Alfonso, Espagnol, ouvrier menuisier, 27 ans
• Joseph Bozcov, Hongrois, ingénieur chimiste, 38 ans
• Georges Cloarec, Français, ouvrier agricole, 20 ans
• Rino Della Negra, Français d’origine italienne, ouvrier d’usine, 19 ans
• Thomas Elek, Hongrois, étudiant, 18 ans
• Maurice Fingercwajg, Polonais, ouvrier tapissier, 19 ans
• Spartaco Fontano, Italien, tourneur, 22 ans
• Jonas Gedulgig, Polonais, ouvrier garnier, 26 ans
• Emeric Glasz, hongrois, mécanicien, 42 ans
• Léon Goldberg, Polonais, étudiant, 20 ans
• Szlama Grzywacz, polonais, ouvrier cordonnier, 35 ans
• Stanislas Kubucki, Polonais, ouvrier mouleur, 36 ans
• Cesare Luccarini, Italien, ouvrier du bâtiment, 22 ans
• Missak Manouchian, Arménien, tourneur, 37 ans
• Armenak Arpen Manoukian, Arménien, serrurier, 44 ans
• Marcel Rajman, Polonais, ouvrier tricoteur, 21 ans
• Roger Rouzel, Français, tourneur, 18 ans
• Antonio Salvadori, Italien, mineur, 24 ans
• Willy Szapiro, Polonais, ouvrier fourreur, 34 ans
• Amédéo Usseglio, Italien, ouvrier maçon, 32 ans
• Wolf Wajsbrot, Polonais, apprenti mécanicien, 19 ans
• Robert Witchitz, Français d’origine polonaise, employé, 18 ans

Article rédigé par Solange Noyé

Missak Manouchian, le 21 février 1944,
Deux lettres, deux heures avant d’être fusillé…

Le 21 février 1944, Missak Manouchian écrit deux lettres, deux heures avant d’être fusillé. Elles seront remises à leurs destinataires après la Libération (28 novembre 1944).

Une à sa femme Mélinée
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Création réalisée par Juliette Martin


La deuxième est adressée à Armène, belle-soeur de Missak Manouchian. Elle est restée au secret jusqu’à ce que la petite-nièce de Armène la confie à Didier Daeninckx lorsqu’il mène l’enquête pour son roman biographique Missak, publié en 2009. Il la restitue telle quelle dans son récit.
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L'affiche rouge


À la suite des exécutions, la propagande allemande va placarder 15000 affiches rouges portant les visages de 10 des fusillés, dont celui de Missak Manouchian avec cette inscription « Arménien, chef de bande, 56 attentats, 600 blessés ».
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Voulant stigmatiser des "terroristes" avec cette représentation de résistants étrangers, l’effet sur les Parisiens sera considérable mais opposé à celui recherché. Ils découvrent des hommes de courage, les invitant à ne plus courber la tête. L’affiche entre dans l’histoire comme symbole de la Résistance.

Nous sommes alors à six mois de la libération de Paris.

En 1955, pour l’inauguration d’une rue du 20e arrondissement de Paris qui portera le nom "Groupe Manouchian", Louis Aragon s’inspire de la lettre que Missak Manouchian a écrit le 21 février à sa femme Mélinée pour rédiger un poème hommage aux Vingt-et-trois. Léo Ferré le met en musique et le chante.

Manouchian a su inspirer ceux qu’il a croisés...


Julien Lauprêtre, connu notamment pour avoir présidé le Secours populaire français, a côtoyé huit jours durant Missak Manouchian à la prison de la Santé. Il a été arrêté le 20/11/1943 pour faits de résistance, soit 4 jours après Missak Manouchian. Ce dernier lui aurait dit : "Moi je suis foutu, je vais être fusillé, mais toi il faut que tu fasses quelque chose d'utile et que tu rendes la société moins injuste." Ces paroles l'auront marqué durablement.

Article rédigé par Solange Noyé
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